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- Derrière les Jeux - avec Romain RAMALINGOM-SELLEMOUTOU, Para-tireur

Le Champion du monde et recordman de France en 2018 et médaillé de bronze aux championnats du monde 2019 en pistolet 10 mètres, nous partage sa passion pour le tir et ses anecdotes pendant les Jeux Paralympiques de Paris 2024 où il termine 17ème. 

Quand avez-vous commencé le para-tir ? Où et Comment ? 

J’ai découvert le tir quand j’avais 14 ans, mais le tir au pistolet j’ai vraiment commencé la pratique fin 2016. À l’époque je vivais en Auvergne, à Montluçon, c’était dans un club juste à côté, le Rex club Domératois, et c’est dans ce club que j’ai fait mon apprentissage dans le para-tir au pistolet 

Était-ce par passion ou une découverte ? 

C’était par passion du tir mais par obligation de devoir arrêter la carabine car la position que j’avais me blessait beaucoup plus qu’autre chose et comme je ne voulais pas arrêter le tir, les copains du club, notamment mon meilleur ami, m’ont poussé à essayer le pistolet. A la base c’était un pur loisir, je n'avais aucune prétention quelconque et ça a été très vite, en 1 an de tir je suis passé de tout débutant à finaliste en coupe du monde en Croatie au pistolet 25m. 

Quelles sont les qualités requises pour cette discipline ?  

Comme dans beaucoup de sport il y a la rigueur, qui est quelque chose de fondamental, surtout que nous sommes un sport de répétition donc il faut vraiment s’appliquer à construire un geste qui soit le plus automatisé et répétable possible car notre but, lors d’un match de 60 coups, est de faire le plus de 10 possible. Pour ça il faut vraiment un geste régulier, performant. Il faut vraiment construire la régularité avec la performance. Ce n’est pas forcément une histoire de confort mais une histoire de “qu’est-ce qui peut marcher pour faire de la perf ?”. Pour cela, ce sont à la fois des aptitudes physiques, avoir une bonne proprioception, un bon équilibre, une bonne stabilité, une bonne endurance, un niveau cardiaque relativement faible ça peut aider, car plus les battements du cœur sont lents, moins on tremble, sachant que pour nous les tremblements sont quelques choses de très déterminants. Sur le plan mental, la gestion du stress et des émotions. C’est un sport qui n’a rien à voir avec les autres parce qu’il n’y a pas de concurrence directe quand on fait notre match. On est tous sur le même pas de tir, on sait ce que nous on fait mais on a aucune idée de ce que font les autres, donc on ne peut pas se comparer, sauf en jetant un coup d’œil rapide au tableau des scores, s’il y en a un. C’est vraiment un match avec et contre soi. 

Quelles sont les différentes distances de tirs ? 

Il y a le 10 mètres avec un pistolet à air comprimé qui envoi des plombs comme à la fête foraine de calibre 4.5. Il y a le tir à 25 mètres avec un pistolet de catégorie B (arme à feu) semi-automatique avec un chargeur de 5 coups. Il y a aussi du tir à 50 mètres, avec une arme de catégorie B aussi mais cette fois ci mono-coup (lorsque l’on a tiré une balle on doit recharger l’arme manuellement) de calibre 22.  

Quelle est la taille de la cible aux différentes distances ? 

A 10 mètres, le 10 fait 11mm de diamètre, à 25 mètres et 50 mètres il doit faire 2.5cm. 

En terme financier que représente une saison ? 

À haut niveau c’est du temps plein, nous ne sommes pas payés pour ça. On est détecté pour pouvoir représenter la France mais sans pour autant être payé. Si on veut poursuivre il faut faire preuve d’abnégation et ça représente énormément de temps, entre 15 et 40 heures par semaine si ce n’est pas plus. On doit se démultiplier, déjà que moi il me manque un morceau, mais si je me coupe en deux ça va être compliqué ! (Rires). Ça a également un coût. Une saison complète ça représente plusieurs dizaines de milliers d’euros. Les armes aujourd’hui ça a pris une claque notamment depuis le covid, j’ai acheté mon premier pistolet 25 mètres neuf il devait être à 1635€ en 2018, aujourd’hui c’est 1000 € de plus. Les sponsors que l’on a en général sont des équipementiers de tir, des munitions, armes. Dans certains pays des marques de sports types Adidas sont partenaires, mais pas en France. 

Les compétitions sont-elles toujours en intérieur ?  

Ça dépend, à 10 mètres en général c’est en intérieur. Par contre à 25 et 50 mètres ça peut être les deux. Par exemple à Châteauroux, pour les Jeux, les matchs pour les qualifications étaient en semi indoor/outdoor (là où sont les pas de tir, on est couvert, mais les cibles sont découvertes). Mais pour les finales, l’ensemble était en intérieur donc il n’y a pas d’impact sur le vent ni sur la luminosité (un gros changement de luminosité, visuellement, ça a un impact car plus il va y avoir de lumière plus l’impression visuelle va donner l’impression que le centre de la cible est petit et plus il fait sombre, plus on a l’impression que le 10 est gros du coup on est obligé d’adapter les réglages de l’arme)  

Qu’est-ce que vous aimez le plus dans votre discipline ? 

J’aime tout ! Même s’il y a des épreuves dans lesquelles je suis moins performant, mais ce n’est pas parce que je suis moins performant que je ne les aime pas. J’aime le tir en général, même à la carabine, le tir au plateau. J’aime toutes les pratiques car je trouve qu’elles apportent beaucoup pour soi sur le développement personnel et sportif.  

Quelle est votre distance de prédilection ? 

Le 25 mètres. 

Comment gérer vous le stress, les grosses montées d’adrénalines lors des compétitions ? 

Ça dépend beaucoup des personnes. Pour ma part je travaille beaucoup sur “qu’est-ce qu’une compétition ? Qu’est-ce qu’un enjeu ?” etc.…. Par exemple pour les Jeux, on n'a pas arrêté d’avoir des discours ambivalents, d’un côté on nous disait “C’est la même cible, la même distance, la même arme, tout est pareil”, de l’autre on nous disait “Oui, mais c'est les Jeux !”. Je mettais un peu ça de côté, pour moi c’était vraiment une façon de tirer comme une autre, avec un enjeu important, forcément c’est un match, mais je ne me suis pas rajouté de pression parce que c’étaient les Jeux. Du coup j’ai bien réussi à intégrer tout ça et quand je suis arrivé sur le pas de tir au moment de l’épreuve, honnêtement je n’avais pas de stress ni de pression supplémentaire, je me sentais vraiment bien. J’arrivais à me concentrer sur ce que j’avais à faire. J’ai plus ou moins réussi, j’ai eu plus ou moins de réussite et de chance mais sur l’aspect mental j’ai vraiment eu une très bonne surprise personnelle en me disant que j’ai réussi à super bien appréhender ces Jeux Para.  

Le fait que ça soit à Paris il n’y a pas eu de pression supplémentaire ?  

Même pas ! En plus quand j’ai fait le match de qualification il y avait les gradins 15 mètres derrière nous, avec la famille et les amis qui étaient présent, j’avais une vingtaine de personnes qui étaient venues pour m’encourager. C’était plus motivant. Je pense que j’ai vraiment réussi à m’en servir comme une force supplémentaire mais sans la pression de me dire “il faut que je réussisse, il faut que, il faut que” etc.…. J’ai vécu ces Jeux de la façon dont je pouvais les vivre et au moment où j’ai vu que le match était terminé et que je n’étais pas en finale, forcément très déçu de la performance que j’ai faite, mais quand je me suis retourné et que j’ai vu que tous mes proches avaient le sourire jusqu’aux oreilles, et qui pleuraient de joie, je me suis dit “J’ai réussi mes Jeux, ils sont contents c’est ce qui compte”. Il faut savoir relativiser les choses, c’est sûr qu’on fait énormément de sacrifices pendant des années pour se préparer à cette échéance là, mais de se dire que notre vie en dépend pour certains ça peut être serveur. Moi ça m’a plus souvent porté préjudices qu’autre chose. Je m’en suis rendu compte et je me dis “Tant que le tir j’y arrive c’est bien, je me donne à fond, si un jour je sens que ça fonctionne plus j’arrêterai” mais ce n’est pas parce que j’arrêterai que ma vie s’arrêtera, au contraire je sais que j’ai un travail, des amis, une famille, j’ai tous ces éléments là-derrière que je n’ai pas envie de mettre de côté. Par contre oui une préparation ce sont quand même quelques sacrifices, quelques compromis qui ne sont pas toujours évident à prendre. L’avantage c’est que mes proches comprennent la situation. Ils comprennent aussi les enjeux de participer aux Jeux, j’ai un vrai soutien, c’est génial.  

Y’a eu une époque, quelques années en arrière, j’avais une copine qui me soutenait dans ma pratique. Mais un jour j’étais revenu d’un stage blessé physiquement, complètement perdu sur ce que j’allais pouvoir faire, et elle m’a dit “te prends pas la tête c’est juste du tir”. Mais moi, ce n’était pas ce dont j’avais besoin d’entendre. Et elle ne comprenait pas que je me mette dans cet état là pour cette pratique pour les enjeux qu’il y avait derrière. Sur le moment y’avait un soutien que j’espérais que je n’avais pas eu et c’est compliqué.  

Quel est le souvenir qui vous a le plus marqué dans votre carrière ?  

Pendant ces Jeux, ça a été un vrai moment de partage avec mes proches que je n’oublierai jamais, des bisous, des câlins, des larmes, c’était génial. En termes de perf, quelque chose d’un peu extraterrestre. C’était une coupe du monde qu’il y avait eu en 2018 à Châteauroux, et il y avait une épreuve où ma mère et mon grand-père souhaitaient venir me voir et je leur avais dit “Venez pour telle épreuve il va se passer quelque chose !” Alors que je n’en avais absolument aucune idée. La veille de l’épreuve je me retrouve totalement bloqué, malaise vagal à cause des douleurs que j’avais aux cervicales et le lendemain matin en me réveillant je me dis “Bon je vais peut-être devoir abandonner” parce que j’étais toujours bloqué et dans la douleur. J’arrive, pas super en forme et en regardant le pas de tir y’a une pensée qui m’est venue spontanément “de toute façon les autres ils auront beau faire ce qu’ils veulent, je suis imprenable !”. Ce jour-là, je fais médaille d’or et record de France ! Je pense que pour tous les sportifs de haut niveau, pour atteindre ce haut niveau il ne faut pas s’arrêter à la première barrière. Mais pas que dans le sport, le meilleur cuisinier du monde, le meilleur pâtissier, ce ne sont pas des sports reconnus mais le gars, pour arriver meilleur, il est obligé de s’investir à fond et de repousser toutes les barrières. 

Qui est la personnalité qui vous inspire, sportif ou pas ?  

Je pense à celui qui m’a amené à faire du tir au pistolet. C’est le père d’une copine. La première fois qu’on s’est vu, c’est comme si on se connaissait depuis toujours.  On a noué un lien très fort dès le départ, on s’est retrouvé à travailler ensemble, où il était mon responsable direct. On allait à la salle de sport ensemble. On allait au tir ensemble. On vivait ensemble en fait. Quand on se parle on n'arrête pas de se donner des surnoms stupides, moi je l’appelle “mon vieux pépé qui pue”. Et quand j’ai terminé mon épreuve, aux Jeux, il y a eu 3 personnes devant lesquelles je me suis effondré en larmes : ma mère (grâce à qui je fais du tir et que je remercie vraiment pour absolument tout ce qu’elle a fait), ma compagne qui était présente, et “mon vieux pépé qui pue”. Pour la première fois, tous les deux, on a ouvert nos cœurs et ça a été un moment extrêmement fort.  

Qu’est-ce qui a été le plus dur pendant ces Jeux Paralympiques ?  

Pendant mon épreuve, le jour J, il y avait beaucoup de choses que je faisais bien mais qui ne payaient pas. Quand on a l’affichage des scores qui s’affiche aux moniteurs, ça se compte au dixième de point. Je voyais beaucoup de 9.8, 9.9, donc très très proche du 10, mais ça ne payait pas. C’était très frustrant. Et ce qui m’a beaucoup embêté, c’était que dans mon champ de vision, sur le pas de tir à côté de moi, j’avais un tireur hongrois, et pendant la partie vitesse de l’épreuve au pistolet 25m, il y a eu un incident de tir. Après la première balle tirée, il restait encore 4 balles dans son chargeur mais il a eu un problème avec son arme. Au lieu de poser son arme, en sécurité sur sa table de tir, de lever la main opposée pour appeler les arbitres, il a pris son arme et l’a secoué dans tous les sens. Moi j’étais juste à côté et je me suis dit “S'il se passe quelque chose, que ça soit pour lui, pour moi ou peu importe ...”. En vitesse, il y a le chrono à prendre en compte qui est le même pour tout le monde, l'espace d’un instant quand je voyais ce qui se passait à côté de moi je me suis dit “bon ok super” j’ai vu les points que je perdais à cause de ça et je savais que la finale allait être compliquée, mais on ne lâche pas ! Je me suis vraiment donné le plus possible sur la suite mais avec cet état de colère.... Il s’agit d’une arme, c’est dangereux en fonction de l’utilisation que l’on en fait. Ce qui m’a embêté c’est que les arbitres n’ont rien dit, mon coach ne l’a pas signalé et en plus de ça, sur la série d’après, les arbitres étaient venus voir les problèmes que rencontrait le tireur, mais c’était juste à côté de moi, ils mettaient des coups dans mon pare-balle sans faire exprès.  

Est-ce que vous pensez que ces JP ont été différents des précédents ?  Que quelque chose s’est déclenché autour de la vision du sport handicap ?  

Les Jeux de Londres (en 2012) ont été un vrai exemple de diffusion. Nous, ça nous avait déjà un petit peu touché, mais la première raison c’est aussi le fuseau horaire. Par la suite, il y a eu Rio (en 2016) où ça a été une catastrophe dans tous les sens, ensuite Tokyo (en 2021), qui a été bien géré mais avec le Covid et le fuseau horaire....  Là ce qui a aidé c’est que ça soit à domicile. Toutes les chaines de diffusions se devaient d’en faire autant pour les JP. À voir ce que ça va donner sur les prochaines Olympiades et Paralympidades, sachant que la prochaine c’est Los Angeles (en 2028), avec toujours ce problème de fuseau horaire pour le suivi des épreuves et après Brisbane en Australie (en 2032), donc même soucis. Est-ce qu’il y aura les mêmes types de résumés, les mêmes durées pour les deux ? Et pour l’engouement général, honnêtement j’espère mais je n’y crois pas.  

Vous ne pensez pas qu’il peut y avoir une nouvelle vision des sports para ? 

Sur la vision individuelle oui (des parents qui ont des enfants avec un handicap etc.). Mais sur la vision médiatique, malheureusement, je ne pense pas. Par exemple, là depuis les Jeux, quand on regarde les résumés des différents résultats sportifs, on ne parle plus des sports para. Plus personne n’en parle.  

Est-ce que vous avez un blues des JP ?  

J’étais content que ça se termine. J’étais content de les vivre mais aussi content que ça se termine. Ça représentait une épreuve, surtout sur ces derniers mois, extrêmement intense, énergivore, je n’en pouvais plus, même là je suis encore bien fatigué parce que depuis les Jeux je n’ai pas eu de vrais moments de pause car j’ai repris le boulot. J’attends la fin de semaine avec une très grande impatience parce qu’enfin je vais avoir une vraie semaine de congés. Je me suis réservé un coin perdu en France où y’a rien ni personne pour essayer de me ressourcer. J’étais vraiment content que ça se fasse, de les vivre, mais aussi que ça se termine. C'est une belle expérience et maintenant on avance pour la suite !  

Rendez-vous en 2028 ?  

On va essayer (Rires). En tout cas je vais tout faire pour.  

Comment se passe les qualifs ? 

Les compétitions donnent accès à ce que l’on appelle des quotas, elles ouvrent environ 2 ans avant les Jeux. Pour gagner un quota, c’est une histoire de place mais pas de 1er, 2ème ou 3ème. Par exemple si on arrive 4ème et que les trois premiers ont déjà leur quota, c’est le 4ème qui l’obtient etc.….  

Quelles sont vos futures échéances ? 

Normalement, si on fait les compétitions internationales du calendrier 2025, il doit y avoir une coupe du monde aux Emirats en février, une coupe du monde en Corée qui doit être en avril, des championnats du monde en juin en Inde, un grand prix en Allemagne et peut être en France, mais je ne me souviens plus des dates, et un championnat d'Europe qui devrait se tenir en août ou en septembre mais on ne sait pas encore où.  

Est-ce que vous avez quelque chose à rajouter ? Une petite anecdote marrante ? 

En 2019 quand je fais la médaille de bronze aux championnats du monde, c’était une épreuve où j’arrive sur le pas de tir avec une autre tireuse et un autre entraineur de l’époque. 5/10 mins avant le début des épreuves on n’arrêtait pas de se raconter des blagues, on était mort de rire sur le pas de tir, on en pleurait tellement on n’en pouvait plus et un moment on entend “Athlètes à vos postes”, nous on était encore morts de rire. Je commence un peu mal mon match, sur la suite ça va un peu mieux mais je ne suis pas content de ce que je fais. À la fin du match, je vois mon entraineur et le responsable des équipes de France qui agitent un petit drapeau France en me regardant. Moi la première chose que je leur dis c’est “Qu’est-ce que vous avez à vous moquer de moi encore bande d’idiots ?”. Et là ils me disent “mais c’est toi l’idiot, regarde le tableau tu es 3ème !” (Rires) 

Vous n’aviez pas vu ? 

Ah non je n’étais vraiment pas content de moi, je savais que je n’étais pas très loin, que je devais être dans le top 5, mais pas sur le podium. Donc je vois le panneau d’affichage, qui était vraiment à l’autre bout de la salle, je suis le seul à avoir un nom à rallonge qui se termine par “...” tellement il est long, et du coup je vois la ligne qui sépare les médaillés des autres tireurs et je vois le nom à rallonge au-dessus de la ligne à la 3ème place.  


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