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- Derrière les Jeux - avec Claude LABANÈRE, Médecin de Paris 2024

Le Médecin manager des tournois de rugby à 7 aux JO nous raconte son parcours, comment il a été convoqué pour ce poste mais également ses plus beaux souvenirs !   

Depuis combien de temps êtes-vous dans la médecine du sport ? 

Je suis dans la médecine du sport depuis 25 ans. J’ai d’abord commencé ma carrière à l’hôpital de Dax, en tant qu’urgentiste mais également médecin du sport. Sur les deux dernières années de ma carrière hospitalière, j’ai ouvert une consultation traumatologie du sport en orthopédie et participé au démarrage du plateau VO2 max dans le même hôpital pour l’évaluation physiologique des sportifs. En 2001, j’ai rejoint la clinique du sport à Bordeaux pour me consacrer pleinement à la médecine et la traumatologie du sport.

Pourquoi avoir choisi la spécialisation dans le sport ?

J’ai un parcours de sportif. J’ai commencé le rugby à 5 ans et pratiqué pendant 27 ans. En complément j’ai pratiqué de l’aviron pendant mes années collège. Après le rugby, j’ai pratiqué en senior du foot pendant 3 ans ainsi que du triathlon pendant 10 ans. J’ai bénéficié d’une éducation dans l’esprit ASICS (“Anima Sana In Corpore Sano” : Un esprit sain dans un corps sain). Dès que j’ai terminé ma carrière de sportif, compétiteur, j’ai décidé de partir dans cette voie. Ce n’est pas dissocié. On fait ce métier parce qu’on est persuadé que le sport pratiqué correctement est source d’équilibre de développement personnel et d’intégration sociale. 

Quel est votre parcours ?

J’ai travaillé sur le Tour de France entre 1998 et 2000, à l’Union Bordeaux Bègles pendant 9 ans entre 2006 et 2015 et en même temps, j’ai eu la chance d’officier en tant que Médecin des tournois Sevens pour World rugby (NDLR : Rugby à 7) à Bordeaux (2004) et à Paris (2005 et 2006, puis 2016). J’ai pu être le manager Médical du site de Bordeaux pour la Coupe du Monde de Rugby à XV de France 2007. A cette époque (1999-2009) j’étais aussi investi au sein de la Fédération Française de Triathlon en tant que médecin des équipes de France. De 2017 à 2021, a été une expérience professionnelle exceptionnelle, impliqué en tant que médecin de l’équipe de France de rugby à 7 masculine sur le SWS (Sevens World Series = circuit mondial de rugby à 7)

Entre 2022 et 2023, le SWS faisait étape à Toulouse (France Sevens), me donnant l’occasion d’œuvrer en tant que médecin Officiel du Tournoi pour World Rugby ; les contacts avec des staffs de nations étrangères m’offrent l’opportunité d’intervenir ponctuellement depuis, auprès d’équipes se déplaçant en France lors des compétitions européennes , en substitution de leur médecin de club. 

Quel était votre statut et comment avez-vous été choisi pour être médecin au rugby à 7 aux JO ?

Le Comité d’Organisation des JO (COJO) m’a proposé la fonction de Médecin Manager des tournois de rugby à 7 Olympiques masculins et féminines au stade de France, intégrant également l’équipe d’organisation de Paris 2024. J’ai pris ça comme un grand honneur et un grand privilège !

Quel était votre rôle ?

Je devais superviser les 12 équipes masculines et les 12 équipes féminines, (environ 312 joueurs et joueuses), plus toutes les parties prenantes sur le terrain, dont les staffs mais également les arbitres, qui étaient une quarantaine.  Tout cela sur les deux zones d’activités dédiées au rugby : la plaine des Jeux de Marville, où se trouvaient les terrains d’entraînement, ainsi que le Stade de France (terrain d’échauffement et de compétition), en lien avec les staffs médicaux d’équipes, ainsi que la polyclinique du Village Olympique et l’hôpital Bichat dédié aux athlètes. 

Ceci a nécessité, un travail préparatoire d’amont 8 mois avant l’évènement, d’élaboration du dispositif en terme de constitution d’équipe de médecins, chirurgiens, infirmiers, secouristes pour les terrains d’entraînements et pour le temps de compétition. 

C’est un travail d’équipe qui a été fait conjointement avec Dr Philippe Le Van (le directeur médical du COJO et Président de la commission médicale du Comité National Olympique du Sport Français), Dr Pierre Mauger (responsable des services médicaux de Paris 2024), Sylvie Delacroix (chef de cluster du site du Stade de France) et Dr Sandra Bernard (directrice médical ISMA Paris, en charge du dispositif secours du public du Stade de France).

On a envisagé tous les scénarii possibles de plans d’urgence pouvant toucher le public, et les sportifs pour mon cadre de compétence. Ensuite on a anticipé toute la logistique en terme de matériel utile sur la traumatologie spécifique du rugby à 7, avec des collisions à très haute énergie cinétique, et les protocoles de prise en charge spécifiques à chaque type de blessure. 

C’est un sport extrême, on considère le rugby à 7 comme la Formule 1 du rugby à XV : c’est le deuxième sport le plus traumatogène des Jeux  d’été, après le BMX !

J’étais le seul salarié, les autres intervenants médicaux étant bénévoles. C’est la spécificité de l’Olympisme. Cela demande un exercice d’adaptation très particulier, car sur les autres tournois internationaux où j’évolue, l’équipe de terrain multidisciplinaire est constituée de professionnels, qui connaissent le rugby et qui ont l’habitude de travailler dans cet environnement-là. Les médecins impliqués aux JO ont dû sortir de leurs zones de confort, pour s’adapter à un environnement singulier et aux exigences des compétiteurs et des staffs. Et il ne faut pas perdre de vue que nous sommes garants de l’intégrité physique des joueurs et de leur sécurité.

 Tout s’est remarquablement bien passé ! Et je leur en suis très reconnaissant.

C'est important que vous mentionniez les arbitres car on oublie souvent que ce sont des sportifs à part entière !

Totalement ! Au-delà de leurs compétences, de leur analyse, et des techniques d’arbitrages, ils ont des prérequis physiques qui sont très élevés, surtout au rugby à 7, où tout va encore plus vite qu’au rugby à XV. Les tests physiques sont rédhibitoires, s’ils ne les passent pas, ils ne sont pas invités ! Les exigences de course sont les mêmes que les joueurs et joueuses. La seule différence c’est qu’en principe, ils ne subissent pas d’impacts, mais ça arrive quand même ! (Rires). 

Il ne faut pas oublier que nous œuvrons, en tant qu’officiels de compétition, de concert avec les arbitres, dans le respect des règlements de World Rugby, de la charte Olympique, tous garants de la sécurité des joueurs et de leur intégrité physique.

J’ai ainsi un lien privilégié avec le collège des arbitres internationaux et leurs superviseurs, de par ma fonction.

Êtes-vous apte à aborder les questions de prépa mentale, gestion de stress etc ?

La gestion du stress est une préoccupation majeure, à l’approche d’une telle compétition : questions sécuritaires (risques terroristes, mouvements de panique de foule, urgence climatique…), questions sanitaires (risques de toxi infections collectives, cluster viral, …) autant de risques à appréhender dans les plans d’action sécurité secours, pour éviter tout stress individuel et collectif.

Dans mon rôle de médecin manager dans ce type de compétition, faire preuve de bienveillance envers les équipiers du dispositif, les préparer aux situations d’urgence, dans un esprit collaboratif, et faire en sorte qu’ils se sentent encadrés en climat de confiance réciproque, qu’ils réalisent que c’est un bonheur d’être acteur d’un tel évènement sportif, relève de la préparation mentale collective.

Relativement à nos interactions avec les joueurs blessés et leur staff médical, nous nous devons d’appréhender la blessure sous l’angle de la victime : « est ce rédhibitoire pour la suite du tournoi ? » si oui , nous partageons avec le médecin d’équipe une part de la gestion des réactions émotionnelles de la victime. ; dans le cas contraire est-ce qu’il y a un sur-risque de blessure et est-ce que ce risque vaut la peine d’être pris ?”. Par exemple, un joueur blessé qui se fracture le nez pendant un match classique de rugby, il a potentiellement 8 jours pour récupérer avant le match suivant, tandis que lors d’un tournoi olympique de rugby à 7, il a trois heures pour que l’on décide s’il joue le match suivant ou pas. La motivation du joueur n’est pas tout à fait la même. Une olympiade c’est tous les 4 ans. Pour la plupart d’entre eux ça sera une fois dans leur vie donc il est hors de question pour eux de rater le match suivant. Au-delà, de la coordination de la prise en charge des soins d’urgence, il faut échanger et tout ça dans le respect du règlement international de World Rugby. 

Notre rôle reste dans l’essence de l’acte médical : « Rassurer, soulager, (voire) guérir ! »

Est-ce qu’en étant membre de staff, vous vivez les matchs avec autant d’adrénaline que les joueurs ? 

Quand je regarde un match de rugby, quelle que soit l’équipe ou la nation, je n’ai pas le même regard qu’un supporter ou qu’un spectateur. Quand je vois un joueur au sol, qui ne se relève pas, mon regard est fixé sur ce joueur-là, je n’arrive pas à m’en défaire, je ne regarde plus le ballon !  

Notre attention sur les actions de jeu traumatogènes et notre concentration doivent être totales. 

Il n’en demeure pas moins que l’on n'est pas insensible à l’environnement global, aux réactions des joueurs qui peuvent nous donner des indications de faits de jeu, et aussi aux réactions du public très expressives sur les gros impacts, et collisions à grande vitesse, surtout dans un Stade de France plein à craquer et dans une effervescence totale !  

Dans notre registre d’observation et d’action, ça reste adrénaline de l’intérieur, mais dans le contrôle émotionnel et la maîtrise des procédures d’intervention, et ce d’autant plus que les matchs s'enchaînent en format Sevens Olympique toutes les 30 min. 

Qu’est-ce que vous avez le plus aimé ? 

L’ambiance au Stade de France était vraiment exceptionnelle. Ça a atteint tous les niveaux de population, y compris ceux qui ne connaissaient rien au rugby et qui rencontraient des difficultés à accrocher à ce sport au vu de sa complexité de compréhension. Même Antoine Dupont, s’en est étonné : il n’a jamais vu ça dans aucune rencontre même lors de la Coupe du Monde de Rugby à XV. Il y avait déjà une fraternité incroyable sur la phase de préparation sur les terrains d’entraînements. Tout cela était certainement dû au fait que l’édition de Tokyo a généré quelques frustrations, donc toutes les délégations avaient à cœur de retrouver les JO tels qu’ils font rêver. Quand j’ai accueilli les équipes c'était très chaleureux. Il devait y avoir la magie de Paris également. Les sportifs ont découvert Paris et sites de compétitions dans des écrins majestueux : stade de France dans son plus bel « apparat olympique », stade nautique de Vayres sur Marne, grand Palais et Château de Versailles majestueux, place de la Concorde travestie en city stade, autant de sites incroyables ! Moi-même je n’ai pas reconnu Paris !  

Enfin, le rugby à 7 est un sport jeune dans les Olympiades. La discipline est arrivée en 2016 à Rio, bon le Brésil, ce n’est pas une nation de rugby donc c’était dans un stade annexe ; à Tokyo c’était la période Covid.... Finalement c’est la première fois que la compétition se tient dans un continent avec une forte culture rugby. Toutes les nations étaient présentes pour la fête du rugby dans l’olympisme, c’était assez magique. Puis il y a la magie de la mise en scène avec des animations qu’a découvert le grand public. Dans les tournois de rugby à 7, c’est très festif et familial.  

Je ne pensais pas qu’il y aurait un tel engouement et une telle effervescence. Je pense qu’on n'était pas nombreux à s’attendre à vivre ce que l’on a vécu, que ça soit professionnels, bénévoles ou spectateurs et supporters de sport. Je dis supporters de sport car pendant toute la période il n’y avait que des supporters de sport car chacun supportait sa nation mais également celle des autres. 

J’ai senti énormément de fraternité, de solidarité et de bienveillance entre tous. 

La mobilisation des bénévoles m’a également beaucoup touché. J’ai eu un peu peur au début car j’ai dû composer avec des personnes que j’ai rencontré le jour J. Mais leur implication et leur capacité à s’adapter m’a vraiment marqué. Engager sa responsabilité sur un événement comme celui-ci n’est pas à prendre à la légère ! Ils ont vraiment été remarquables. C’est la première fois que je vois autant de bénévoles sur une compétition internationale. Ça a été vraiment un plaisir de les manager, ils ont tous su apporter leur enthousiasme, leur altruisme avec une énergie décuplée et le sourire aux lèvres.  

Enfin le contact avec toutes les nations dont on a partagé les émotions tout au long du tournoi !  

Qu’est-ce que cela vous a apporté personnellement ? 

Ça m’a apporté beaucoup de plaisir à travailler sur un dispositif aussi singulier : 

D’une dimension extraordinaire : stade de 70000 personnes (en configuration JO Paris 2024) plein pendant 6 jours de compétitions 

À caractère international : anglais et français langues officielles 

À forte participation de bénévoles.  

Une rigueur dans l’organisation : timing précis des tâches de briefing d’équipes, élaboration de protocoles de prise en charge 

Un travail sur la forte adaptabilité nécessaire à la fonction :  au bout de 5h de poste de travail, je changeais d’équipe, donc il fallait réitérer accueil, consignes de tenue et de comportement, briefings techniques !  

C’est une expérience vraiment unique, qui apporte beaucoup en termes de dépassement de soi, au service d’une mission collective : dans l’esprit rugby en fait !  

Également la nécessité d’être ultra positif pour mettre en confiance le personnel, le temps d’adaptation pour eux est très très court, par exemple, les secouristes arrivent 2h avant le coup d’envoi. Dans ce laps de temps, il faut les mettre en confiance et suffisamment les briefer pour que tout soit optimum.  

Aussi, arriver à être dans la gestion émotionnelle, comme je le disais, l’environnement est plein d’effervescence, l’équipe de France masculine gagne, ils sont champions olympiques mais derrière il y a d’autres matchs, pas que la France. Il faut de la maîtrise face aux autres équipes aussi. J’ai un rôle officiel, il me faut être bienveillant et neutre.  

Enfin, de l’expérience internationale. Ce vécu renforce les liens internationaux. J’ai eu la chance d’être sur le circuit de SWS pendant 5 ans et de vivre ces événements-là ça crée des liens plus intenses et qui font que quand on se retrouve après plusieurs années, on a ce vécu commun.  

Avez-vous un blues des JO ? 

Non je ne dirais pas ça car j’ai une activité professionnelle qui ne m’a pas laissé d’autre choix que de passer vite à autre chose donc je n’ai pas eu le temps. C’est passé très vite ! Même si c’était dense (3 semaines avec 5h de sommeil par nuit). On m’avait proposé de faire le rugby fauteuil mais je ne me sentais pas de prolonger de 2 semaines supplémentaires donc je n’ai pas répondu favorablement... Je l’ai clairement regretté car, en devenant le bon français supporter, j’ai été absolument séduit par le niveau de performance des para-athlètes. La boccia, j’avais un a priori et j’ai été happé, admiratif du niveau de précision et de performance. Les épreuves de para-athlétisme, nous ont fait la démonstration de l’incroyable capacité d’adaptation de l’être humain, montrent que tout est possible, que la résilience mène à l’extraordinaire. 

Petite frustration ressentie en quittant le Stade de France, pour laisser place à la grande scène de l’athlétisme, après les tournois de rugby, de voir tous ces athlètes s'entraîner sur le site, et ne pas les voir en compétition.  

J’ai suivi les JPOJ devant mon poste de télévision et me suis vraiment dit à la fin que j’avais raté un truc. Je n’avais pas pris la mesure de ce que c’était, de ce que représentait le parcours de vie de chacun de ces para-athlètes : respect et admiration. Ils sont inspirants. Pour moi le paralympisme est allé au-delà de l’olympisme, mais sinon c’était vraiment une expérience inoubliable.  

On vous verra en 2028 ?

Oui oui, si World Rugby me sollicite  j’y retourne. Je suis totalement enthousiaste à l’idée de reparticiper aux Jeux Olympiques et Paralympiques.

Est-ce que vous avez une anecdote drôle à nous partager pendant les JO ? 

Il y a un arbitre qui s’est fait plaquer par un joueur au bord d’un ruck devant la ligne car l’arbitre avait les mêmes couleurs de chaussettes que l’équipe adversaire, donc le joueur qui l’a plaqué s’est repéré à ça ! Heureusement il ne s’est pas fait mal ! 

Ensuite, il y a 7 ans, lorsque le staff actuel est arrivé, lors d’une réunion, Jérôme Daret (NDLR : Manager principal de l’équipe de France masculine de rugby à 7) a fait un sondage au début de la saison pour connaître les ambitions et objectifs autour des JO. Joueurs et membres de staff ont répondu sur un bout de papier. On a fait le tour des réponses et Jérôme était le seul à avoir répondu “gagner les JO en France”, quand pour la plupart c’était “Y’aller, voir comment ça se passe et y participer”. Très peu avaient dit “Avoir une médaille” et encore moins “avoir la médaille d’or”. Ce moment-là a résonné en moi quand ils ont gagné. C’est l’influence positive de quelqu’un qui met les moyens dans l’objectif et qui veut y croire, alors qu’il y a 7 ans, l’équipe était 12ème au classement mondial. En plus, quand on a le scénario parfait qui se termine par battre les doubles champions olympiques en titre, invaincus dans toutes les rencontres des JO (NDLR : l’équipe fidjienne), c’est encore plus beau !


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